MANIFESTE parmi les apprentis-sorciers
- Devant l'éclatement des villes, plusieurs attitudes sont possibles.
- Jean Nouvel ajoute ses brillants éclats à l'éclatement général, dont il a fait
- (même s'il s'en est défendu depuis) comme la nouvelle "logique" du monde,
- définitivement incompréhensible dans sa sauvage beauté.
- Bernard Huet apporte son ordre formel, digne et cultivé, auquel le désordre
- devra bien se plier, mais peut-être sans s'y reconnaître vraiment.
- Il y aurait une autre voie : chercher dans l'apparent désordre un nouvel ordre caché,
- ou en train d'éclore ; en repérer les logiques secrètes et les acteurs essentiels ;
- laisser sans contrainte inutile ces forces dessiner la nouvelle forme urbaine,
- en aidant seulement à leur émergence et à la cohérence de leur expression.
- Double gageure : rien ne dit que ces forces accoucheront d'une ville acceptable ;
- et même dans ce cas, elle nous sera si étrange que nous ne saurons peut-être pas
- l'évaluer avec nos critères d'un autre âge.
- J'expérimente cependant une méthode : pour un projet d'architecture ou d'urbanisme,
- laisser d'abord parler le terrain et son environnement, le programme et ses connexions,
- les acteurs et leurs priorités ; la vie en somme. Mettre en forme ce qui en découle,
- et le considérer : le résultat est souvent porteur d'une grande richesse intérieure,
- fondée en histoire et en société contemporaine ; une fois repérées, sa logique
- et sa cohérence peuvent alors s'exprimer dans un projet formel et personnalisé,
- que l'auteur osera signer. "Ready made", en quelque sorte.
- C'est que l'architecture est un art social : le concepteur n'est pas seul devant sa toile
- ou sa partition, mais un relais créatif entre maître d'ouvrage, entreprises et utilisateurs
- (sans oublier les spectateurs). Insertion plus marquée encore pour l'urbaniste,
- dont les orientations ne prendront vie que si elles sont reprises à leur compte,
- et collectivement, par les multiples acteurs de la ville.
- Ceci n'empêche pas l'urbaniste d'avoir son idée, et d'utiliser - comme dans l'aï ki do -
- le mouvement des partenaires pour les entraîner dans la direction choisie.
- Un classique taoïste donne en exemple ce boucher dont, après 19 ans d'usage intensif,
- le couteau était resté comme neuf : il connaissait si bien les articulations qu'il a pu
- y glisser la lame sans l'user.
- Puis-je ainsi éviter d'ébrécher mon couteau d'urbaniste ?
- Une telle approche fait naturellement la part aussi belle à l'intuition, conscience du vivant,
- qu'à une analyse qui reste toujours un peu de l'ordre de l'autopsie.
- Mais l'intuition n'est pas ici la facilité d'un don magique :
- elle se nourrit de la connaissance du terrain, du contexte, des acteurs
- et plus généralement d'une culture de notre société.
- Vaste ambition !...
CND Projet urbain - tendre cadastre - Bezons - sur la route d'Henin-Beaumont